Publications

Comprendre les mobilités carcérales dans et à travers les expériences vécues d'incarcération
Sarah Turnbull & Dawn Moore
Punishment & Society
Des études récentes sur les mobilités carcérales critiquent les conceptualisations des espaces carcéraux comme fixes et stables, et les déplacements à l'intérieur ou autour des lieux de détention comme linéaires et horizontaux. Selon cette critique, les études criminologiques sur l'incarcération ont généralement adopté ce que Turner et Peters (2017) [« Rethinking mobility in criminology », Punishment & Society 19(1), 96–114] appellent une « ontologie sédentariste », en omettant de prendre en compte la complexité des mobilités des détenus dans leurs expériences vécues en milieu carcéral. Nous nous appuyons sur des données d'entrevues qualitatives issues du Projet Transparence en Prison, une étude pluriannuelle initialement menée dans quatre sites de recherche au Canada et axée sur les récits d'anciens détenus concernant leurs expériences carcérales, afin d'identifier et d'analyser les mobilités multiformes qui caractérisent la vie carcérale. Nous nous concentrons sur trois aspects des mobilités carcérales : l’utilisation de psychotropes pour induire la docilité, les (im)mobilités coercitives des contraintes physiques et la « prison sur roues » (c’est-à-dire les véhicules de transport de prisonniers). En utilisant le concept d’« immobilité cinétique », où le corps des détenus est immobilisé afin de pouvoir être déplacé (ou non) de manière coercitive dans l’espace et le temps, nous examinons dans quelle mesure les travaux théoriques sur les mobilités carcérales concordent avec les expériences vécues de l’incarcération, telles que relatées par les participants à la recherche.

Jouer au « judo mental » : cartographie de la compassion du personnel dans les prisons fédérales canadiennes
Katarina Bogosavljevic, Jennifer Kilty
Punishment & Society
Les prisons sont des environnements intrinsèquement émotionnels où le personnel et les détenus s'engagent dans un processus continu de gestion des émotions lorsqu'ils travaillent et vivent en milieu carcéral. Cet article explore comment les valeurs et les normes du Service correctionnel du Canada (SCC) façonnent la façon dont le personnel, majoritairement en civil, gère la compassion en milieu carcéral. Cela inclut quand et à qui ils sont autorisés à exprimer leur compassion, quand ils doivent la dissimuler ou la réprimer, et comment l'expression de compassion envers les détenus peut susciter un sentiment de dégoût chez certains membres du personnel. Nous soutenons que, dans l'espace émotionnel qu'est la prison, la compassion est (re)configurée en une émotion individualisée et obligatoire par la culture émotionnelle organisationnelle du SCC, qui met l'accent sur la punition et le contrôle (le lien sécurité-soins) plutôt qu'un acte transformateur qui aide à résister aux préjudices de l'incarcération et encourage la guérison. La compassion devient ainsi un dispositif disciplinaire par lequel le personnel s'autodiscipline en modifiant sa propre orientation émotionnelle envers son travail, les détenus et les autres membres du personnel, et en tant que pratique de surveillance, d'évaluation et de régulation collectives. Nous soutenons que la compassion liée aux questions et aux pratiques de sécurité étouffe la réhabilitation dans cet environnement et que le travail de santé et d’autres soins doit être réintégré dans les milieux communautaires.

Cultures de transparence dans la gouvernance carcérale : les leçons du clivage mondial Nord/Sud
Hollis Moore, José A. Brandariz, Vicki Chartrand, Jennifer M. Kilty, Dawn Moore, Máximo Sozzo, and Sarah Turnbull
Incarcération : une revue internationale sur l'emprisonnement, la détention et l'incarcération coercitive
Cet article conceptuel propose de nouvelles pistes pour cartographier et comprendre le rôle de la transparence dans la gouvernance carcérale. Mobilisant notre expertise dans nos domaines d'étude respectifs, nous étudions comparativement des études de cas sur la transparence carcérale en Argentine, au Canada et en Espagne. Dans chacune d'elles, nous décentrées les formes de transparence privilégiées par les autorités carcérales en examinant la diversité des mécanismes et des acteurs impliqués dans sa production. Pris ensemble, nos récits des cultures de la transparence dans les prisons et les centres de détention pour migrants du Nord et du Sud mettent en évidence l'absence et la présence de différents moyens de générer de la transparence dans les lieux de détention et dénaturent les idées nordiques et étatiques sur la transparence carcérale. En fin de compte, notre juxtaposition de trois cultures de la transparence révèle la diversité des moyens de générer des connaissances carcérales et les possibilités de leur diffusion. Face à la persistance des violations des droits humains, ces travaux soulignent la nécessité de poursuivre les recherches sur la transparence, menées dans le Sud, afin de façonner les perspectives de gouvernance carcérale.

Le pacte européen : un sujet crucial pour les spécialistes de la criminologie des frontières et de la crimmigration
José A. Brandariz
Border Criminologies
Il y a près de 25 ans, Leanne Weber publiait un article novateur expliquant pourquoi les criminologues devraient accorder une attention particulière à la détention des migrants. Comme me l'a fait remarquer Giuseppe Campesi il y a un an, les spécialistes de la criminologie des frontières et de la crimmigration ont autant de raisons d'examiner en profondeur le Pacte européen sur la migration et l'asile.
L'importance du Pacte européen ne saurait être surestimée. Après plus de huit années de turbulences liées à la gestion des migrations et d'intenses négociations politiques, les institutions européennes ont réussi à adopter un vaste ensemble de mesures en matière de mobilité, qui modifiera le paysage migratoire et d'asile en Europe pour les années à venir. Il ne s'agit pas d'une étape mineure. L'ampleur de ce changement est sans doute sans précédent dans le domaine du droit européen de la migration et de l'asile, dépassant largement l'ampleur des précédentes réformes juridiques adoptées, par exemple, en Irlande. au début des années 2000 et de 2011 à 2013. Par conséquent, le Pacte européen aura un impact vital sur des questions telles que les pratiques d'expulsion et de refoulement, les formes de détention et de confinement des migrants, le maintien de l'ordre et la surveillance numérique des non-citoyens et des groupes racialisés, et plus généralement les pratiques frontalières à travers l'Europe, qui sont des sujets essentiels pour les chercheurs en criminologie des frontières et en crimmigration.

Créer la nouvelle salle de classe du journalisme pour un avenir en jeu : une proposition pas si modeste pour une pédagogie du soin, du dialogue et de la critique
Adrian Harewood
Facts & Frictions
S'appuyant sur les travaux de Paulo Freire, Bell Hooks, Amilcar Cabral et Grace Lee Boggs, cet article examine le rôle que peut jouer une formation en journalisme ancrée dans les arts libéraux à l'ère du changement climatique et de la COVID-19. En suivant un tel parcours, les étudiants en journalisme peuvent acquérir les compétences nécessaires pour s'épanouir dans une salle de rédaction professionnelle, tout en contribuant à la durabilité de la vie sur Terre. La salle de classe peut devenir un lieu d'imagination qui combat le sentiment d'aliénation. Elle peut devenir un lieu de solidarité, de compassion et de rêves de liberté. C'est en classe que les étudiants en journalisme peuvent apprendre à questionner sans crainte, à écouter attentivement et à reconnaître la valeur des récits et des critiques de leurs camarades et de leurs enseignants. En adoptant une méthode d'enseignement dialogique, engagée à mettre fin à toute forme de domination et en fondant une pédagogie du soin, il est possible de cultiver une éthique pédagogique qui affirmera et restaurera l'humanité des étudiants blessés par les ravages d'une pandémie mondiale et changera un monde en péril.